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Une première mondiale : un “pont digital” reliant le cerveau à la moelle épinière

Pr Grégoire COURTINE, président du Conseil Scientifique de l'IRME

Pr Grégoire COURTINE, président du Conseil Scientifique de l’IRME

Dans un article récemment publié dans la revue Nature, l’équipe du Dr Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch, en collaboration avec le CEA de Grenoble, présente les résultats d’une étude révolutionnaire (1). Cette étude rapporte l’effet d’un nouveau système de contrôle de la marche par neurostimulation chez un patient de 40 ans ayant subi une lésion de la moelle cervicale il y a 12 ans suite à un accident de vélo.

De la stimulation médullaire à une interface cerveau-machine

Lorsque nous marchons, notre cerveau envoie des signaux aux nerfs de la moelle épinière pour contrôler nos jambes. Cependant, en cas de lésion de la moelle épinière, ces signaux sont interrompus, entraînant une paralysie permanente. Les travaux précédents de l’équipe du Dr Courtine avaient démontré que la stimulation électrique épidurale ciblant des zones spécifiques de la moelle épinière sous la lésion permettait d’activer des groupes musculaires nécessaires à la marche et à la station debout (2). Cependant, les personnes traitées rencontraient des difficultés à s’adapter à différents terrains et le contrôle de la marche n’était pas complètement naturel. L’objectif de cette étude était de permettre à la stimulation des muscles d’être également commandée par le cerveau lui-même, qui contient les circuits de la marche acquis lors de l’apprentissage initial.

Un effet immédiat : transformer la pensée en action

Les chercheurs ont mis en place deux systèmes entièrement implantés, permettant l’enregistrement de l’activité cérébrale et la stimulation sans fil et en temps réel de la moelle épinière lombo-sacrée. En reliant ces deux systèmes, il est désormais possible d’enregistrer l’activité cérébrale et de stimuler la moelle épinière pour rétablir le contrôle des mouvements. Grâce à ce dispositif, le patient a pu retrouver un contrôle naturel du mouvement de ses jambes paralysées, lui permettant de se tenir debout, de marcher avec des béquilles ou un déambulateur, et même de monter des escaliers. Il rapporte avec enthousiasme son expérience dans une interview qu’il a donnée à la Radio Télévision Suisse (3). “Je pense au mouvement de mes jambes, je pense à faire un pas. Ce n’est donc pas que je vois un point au loin, que je le fixe et que je marche dans cette direction. C’est du pas-à-pas. Je pense au pas gauche, puis au pas droit et finalement je marche”, décrit-il. “La plus grande difficulté, c’était de retrouver ma manière de marcher de l’époque, puisque je n’ai plus fait ça depuis 12 ans. C’est difficile de me rappeler comment je marchais. J’ai dû réapprendre”.  Il ajoute «  je suis à l’aise dans la position debout et j’ai un bon équilibre donc je peux accomplir des tâches. Par exemple, je peux me lever devant le réfrigérateur et atteindre son plus haut niveau pour y attraper quelque chose. C’était impossible quand j’étais assis”.
Un effet retardé : améliorer la fonction motrice

Une autre avancée importante de cette étude est qu’en dehors de toute période de stimulation, une amélioration persistante des fonctions motrices a été observée. L’association avec une rééducation intensive a en effet permis une augmentation de la force de flexion des hanches et une amélioration de la marche. De nombreuses études s’accordent déjà sur la conclusion que la stimulation épidurale de la moelle épinière, combinée à une rééducation intensive, peut améliorer la motricité. Les mécanismes de plasticité impliquant la réorganisation des circuits moteurs et la régénération des axones sont considérés comme étant à l’origine de cet effet. Les chercheurs estiment que leur nouvelle approche, qui rétablit une connexion entre la zone motrice du cerveau et la moelle épinière, pourrait amplifier ces effets bénéfiques.

Quel délai avant une application à large échelle ?

Concernant une application plus large de cette technique dans le futur, les auteurs de l’étude se montrent optimistes, bien qu’ils reconnaissent les défis technologiques qui limitent encore sa généralisation. Ils estiment qu’il n’y a pas de grands obstacles techniques anticipés pour atteindre ces développements. Il convient de noter que la stimulation épidurale est déjà utilisée pour traiter la douleur de manière courante. Son application dans le but d’améliorer la fonction motrice chez des patients victimes d’un traumatisme médullaire est un objectif à court terme. Concernant la récupération motrice, l’avantage du “pont digital” par rapport à la stimulation médullaire seule reste d’ailleurs à démontrer. Ceci souligne encore l’importance des travaux cliniques pour évaluer l’efficacité et comparer entre elles les différentes approches de stimulation.

Références

(1)   Lorach H et al. Walking naturally after spinal cord injury using a brain-spine interface. Nature. 2023 May 24.
(2)   Rowald A et al. Nat Med. 2022 Feb;28(2):260-271. doi: 10.1038/s41591-021-01663-5. Epub 2022 Feb 7. PMID: 35132264.
(3)   Radio Télévision Suisse. https://www.rts.ch/info/sciences-tech/medecine/14048376-une-equipe-du-chuv-et-de-lepfl-fait-remarcher-un-paraplegique-par-la-pensee.html.